La poésie du mercredi (#66)

Pour cette soixante-sixième Poésie du mercredi – le nombre du Diâââbleuh -, je vous propose quelque chose d’assez spécial. (Et, oui, il y a un rapport avec le Diâââbleuh. Vous allez voir.)
Donc, un extrait… de roman. Scandale et révolution : ON EST CENSÉ PARLER DE POÉSIE ICI, SAPRELOTTE. Ça commence comme ça, et puis après on ne sait pas où ça va s’arrêter. Hein ?
Mais bon. Reposez-moi donc ce couteau (c’est pas recommandé sur les écrans en règle générale) et laissez-moi expliquer le pourquoi du comment.
La poésie d’aujourd’hui est donc un extrait de roman, plus précisément du
Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, paru en 1933. Il s’agit d’un passage lui-même tiré d’un passage plus long, assez célèbre, et qui consiste en une vision hallucinée du narrateur, Bardamu : il décrit en effet la sortie des morts de leur cimetière, et leur danse (ou invasion ?) nocturne au-dessus de la ville. (Vous voyez le lien avec le Diâââbleuh ?) Ce passage en lui-même – aux alentours de la page 368 en Folio – tient, en tout cas selon moi, plus du poème en prose (et plus particulièrement de l’épopée antique ou de la prophétie biblique) que du roman “classique”.
Voici donc un extrait du
Voyage au bout de la nuit de Céline :

Une abominable débâcle, il en arrive tournoyants des fantômes des quatre coins, tous les revenants de toutes les épopées… Ils se poursuivent, ils se défient et se chargent siècles contre siècles. Le Nord demeure alourdi longtemps par leur abominable mêlée. L’horizon se dégage en bleuâtre et le jour enfin monte par un grand trou qu’ils ont fait en crevant la nuit pour s’enfuir.
Après ça pour les retrouver, ça devient tout à fait difficile. Il faut savoir sortir du Temps.
C’est du côté de l’Angleterre qu’on les retrouve quand on y arrive, mais le brouillard est de ce côté-là tout le temps si dense, si compact que c’est comme des vraies voiles qui montent les unes devant les autres, depuis la Terre jusqu’au plus haut du ciel et pour toujours. Avec l’habitude et de l’attention on peut arriver à les retrouver quand même, mais jamais pendant bien longtemps à cause du vent qui rapproche toujours des nouvelles rafales et des buées du large.
La grande femme qui est là, qui garde l’Île c’est la dernière. Sa tête est bien plus haute encore que les buées les plus hautes. Il n’existe plus qu’elle de vivante un peu dans l’Île. Ses cheveux rouges au-dessus de tout, dorent encore un peu les nuages, c’est tout ce qui reste du soleil.
Elle essaye de se faire du thé qu’on explique.
Il faut bien qu’elle essaye puisqu’elle est là pour l’éternité. Elle n’en finira jamais de le faire bouillir son thé à cause du brouillard qui est devenu bien trop dense et bien trop pénétrant. De la coque d’un bateau qu’elle se sert pour théière, le plus beau, le plus grand des bateaux, le dernier qu’elle a pu trouver dans Southampton, elle s’en fait chauffer du thé, par vagues et encore des vagues… Elle remue… Elle tourne le tout avec une rame qui est énorme… Ça l’occupe.
Elle regarde rien d’autre, sérieuse pour toujours qu’elle est et penchée.
La ronde est passée tout à fait au-dessus d’elle mais elle a même pas bougé, elle a l’habitude qu’ils viennent tous les fantômes du continent se perdre par ici… C’est fini.
Elle tripote, ça lui suffit, le feu qu’est sous la cendre, entre deux forêts mortes, avec ses doigts.
Elle essaye de l’animer, tout est à elle à présent, mais son thé il ne bouillira plus jamais.
Il n’y a plus de vie pour les flammes.
Plus de vie au monde pour personne qu’un petit peu pour elle encore et tout est presque fini…

La poésie du mercredi (#49)

Nous venons d’atteindre la dernière étape de notre parcours sur les traces de Philippe Katerine et de la “substantifique moelle” de ses textes.
Je vous propose aujourd’hui, pour clore cette séquence, “Numéros” in Robots après tout, 2005, dont les thématiques permettent une fin… ouverte.
Vous pouvez bien sûr retrouver les chansons de ces dernières semaines (et beaucoup d’autres, la sélection a été difficile !) sur Internet dans ses albums. (À titre personnel, son album Philippe Katerine de 2010 est un de mes préférés. Du moins je trouve que c’est l’un des plus originaux !)

Donc, aujourd’hui, on parle de numéros.

NUMÉROS

Un
Soixante-huit
Douze
Soixante-dix-neuf
Huit cent vingt-neuf
Huit cent cinq
Zéro sept

Voilà mademoiselle Numéros
J’ai les yeux bleus
Et je deviens gros

J’aime les chiens qui font peur
J’aime les ascenseurs
Les tapis roulants
J’aime l’odeur du ciment
J’aime dire bonjour aux autos qui passent
Je pense à la mort
À la mort
Tous les jours

Vous aussi
Vous y pensez
Oui, je le vois bien
Au fond de vos yeux bruns
Mademoiselle
Déclinez votre identité

Deux
Soixante-neuf
Zéro
Cinq
Quatre-vingt-dix-neuf
Cent trente-et-un
Cent soixante-sept
Quatorze

Un
Soixante-huit
Douze
Soixante-dix-neuf
Huit cent vingt-neuf
Huit cent cinq
Zéro sept

Voilà les clefs
Mademoiselle
Voilà les clefs
Mademoiselle
Mademoiselle

La poésie du mercredi (#47), ou le rapport entre une cervelle de singe et la philosophie (avec une analyse de texte en bonus)

J’avais prévu depuis assez longtemps de poster “Cervelle de Singe” aujourd’hui (Katerine, in 8e ciel, 2002). Après les événements de vendredi dernier, j’ai pensé qu’il vaudrait sans doute mieux changer de texte. Et puis, à la réflexion, je me suis dit que celui-ci, d’une certaine manière, correspondait bien à la situation actuelle…

Il n’y a pas qu’une voix pour dénoncer l’horreur, l’originalité peut parfois être autant, voire plus poignante que les images évidentes. Je vous laisse en juger :

CERVELLE DE SINGE

Mon père est un autobus impérial
Ma mère est une bouteille d’eau minérale
Mon frère est une pharmacie de nuit
Ma sœur est une symphonie

Moi je suis une rue à sens unique
Aux maisons construites à l’identique
Habitées par des femmes à moitié nues
Qui ne veulent pas être vues

Mais toi qui es-tu pour me décapiter ?
Mais toi qui es-tu pour m’écarteler
Avec les chevaux du ciel aux poignets ?

On se retrouvera en Enfer
Mais c’est moi qui serai Lucifer

Ton père est un intestin déroulé
Ta mère est un cerveau carbonisé
Ton frère est un ventricule en charpie
Ta sœur est une maladie.

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Mise à jour. Une explication plus claire des raisons qui m’ont fait voir dans ce texte une interprétation poétique des événements que nous vivons me paraît, finalement, nécessaire.

Sans partir dans un commentaire-de-texte-trois-grandes parties-trois-sous-parties-introduction-problématique-et-conclusion, une petite analyse s’impose.

Ce texte me paraît avant tout retranscrire une situation violente et subie, en cherchant à la sublimer, par le biais en l’écriture en elle-même. “me décapiter”, “m’écarteler / avec les chevaux du ciel aux poignets” l’indique explicitement : l’écartèlement est une torture/mise à mort typique du Moyen-Âge dans l’imaginaire collectif, il pourrait même être perçu comme métonymie (ce terme désigne le fait de prendre la partie pour le tout) de cette époque car elle renvoie à quelque chose d’horrible et de violent – et le Moyen-Âge est perçu, la plupart du temps toujours dans l’imaginaire collectif, comme une période sombre, violente et obscurantiste.

Or, ce qui est très important dans ce vers, c’est que celui qui a la parole n’agit pas. Il est victime de cet écartèlement, impuissant ; il ne peut que questionner (assez inutilement, on s’en doute) : « qui es-tu pour me décapiter ». On voit bien ici le condamné à mort qui supplie son bourreau, c’est d’ailleurs un cliché (un film sur le Moyen-Âge sans ce genre de scène, ce n’est pas un film sur le Moyen-Âge).

Le « récit » de la scène, qui devrait être théoriquement constituer l’objet principal du texte, tient pourtant en trois vers, au centre du texte. Il reste d’ailleurs assez flou (celui qui parle se fait-il « décapiter » ou « écarteler », au juste ? Les deux ? On ne sait pas).

Mais ce qui constitue le « corps » du texte, en termes de longueur et d’importance, c’est justement le discours du personnage. Après une série d’affirmations (au présent, ici à valeur de vérité étendue dans le temps) (« ma sœur est une symphonie ») qui sont déroutantes au premier abord, on arrive à la mention de la torture. Suivent, dans une construction similaire aux affirmations du début (pronom possessif singulier + membre de la famille + groupe nominal composé d’un article indéfini et d’un substantif) une autre série d’affirmations. La différence entre les deux séries se trouve dans leurs tonalités. D’abord, pour la première série (qui caractérise directement le locuteur et son entourage, « mon père », « ma mère », etc.), on a affaire à une tonalité plutôt onirique, mais dans le bon sens, avec un lexique à tendance méliorative (même la « bouteille d’eau minérale » est connotée positivement – ce qui étanche la soif, l’eau comme élément vital, etc.). Au contraire, dans la seconde série, la tonalité est sinistre (c’est même carrément flippant, si vous voulez mon avis), on se rapproche du cauchemar, avec le « cerveau carbonisé », le « ventricule en charpie » et autres joyeusetés. Lexique très fortement connoté donc, des blessures, de la mort, et plus précisément de la mort violente. De la guerre, pourrait-on dire.

Or ces dernières affirmations se rapportent à un « tu » et non plus à un « je ». Il paraît logique de considérer qu’elles s’adressent au même « tu » que celui évoqué aux vers précédents (« mais toi qui es-tu »), et donc qu’il s’agit là d’une sorte d’imprécation, de malédiction.

Bon.

Maintenant qu’on en est là, voici mon interprétation. Cette imprécation est là pour rééquilibrer la situation : la victime de cette torture qui vient de l’extérieur, et, sans doute, d’en haut (« avec les chevaux du ciel ») reprend le pouvoir, la maîtrise de la situation par le langage. D’ailleurs, la formule « on se retrouvera en Enfer » est elle aussi un cliché, typique cette fois des westerns, et c’est normalement, celui qui n’est vaincu que provisoirement (ou qui le croit) qui la prononce… Suivie d’une série d’imprécations. Le schéma ici n’est donc pas totalement nouveau !

En établissant un discours, c’est-à-dire ici une représentation verbale d’un réel, celui qui n’était jusqu’à présent qu’impuissant face aux menaces extérieures, qui ne pouvait que questionner en vain le ciel (« mais toi qui es-tu pour me décapiter / avec les chevaux du ciel aux poignets »), se met à agir, et à lui-même frapper cette entité : avec les armes qu’il a, c’est-à-dire le langage. Il recrée une situation où c’est lui-même, le locuteur, qui a le pouvoir, dont la parole performative (de la malédiction) comme celle de l’assertion (avec les verbes au présent et leur valeur de « vérité », comme on l’a vu) prend toute la place, parole donc agissante.

Or le texte, lui, contrairement à un acte ponctuel, « anecdotique », restera, se maintiendra dans le temps. On ne connaîtra pas la scène en elle-même mais ce que la « victime » de cette scène en raconte, c’est sa parole qui fera office de vérité.

En allant encore plus loin, on pourrait dire que ce texte est une métaphore de la condition humaine (d’ailleurs, on a coutume de dire que l’homme descend du « singe » et qu’il se différencie des autres animaux par sa capacité à raisonner… autrement dit, par sa « cervelle »!). Écrasé par une puissance littéralement surhumaine et divine (la mention des « chevaux du ciel » est typiquement biblique, on peut penser aux Cavaliers de l’Apocalypse) dont on ne sait rien (« mais toi qui es-tu »), l’homme trouve sa compensation dans la parole et plus précisément dans la parole poétique… Inversant la situation en proposant une sorte de « rédemption » à l’envers, la vengeance (« on se retrouvera en Enfer / Mais c’est moi qui serai Lucifer »).

Contrer la violence absurde d’un événement par le langage et par l’art, qui permettent d’inverser la situation, je ne sais pas vous, mais moi, c’est comme ça que je vois tous les slogans et dessins qui fleurissent sur Internet depuis samedi.

 

 

 

Chirurgie florale

Je vous propose aujourd’hui une séance de poésie participative !
Comme toujours, le principe est très simple : écrire en commentaire ce que vous inspire l’image. À noter qu’aucune contrainte formelle n’est à respecter, bien que vous puissiez vous en imposer une.
Ici, j’ai voulu incruster un haïku, en rapport avec le thème floral, ou plutôt un haïku perverti, mais ce n’est en aucun cas une consigne.

D’ailleurs, vous pouvez très bien vous détacher presque totalement de l’image, et écrire sur tout autre chose – l’essentiel est de capter par mots ce que vous ressentez devant cette image.

Ne soyez pas timides : après tout, “La poésie doit être faite par tous et non par un”, comme disaient Lautréamont et mon prof de français.

Allons-y !

(PS : je voudrais créer une chaîne poétique sur cet article et surtout ses commentaires, alors si ce principe/défi d’écriture vous plaît, même si vous n’y participez pas (ET C’EST TRÈS MAL), ce serait sympa de le partager, pour qu’il soit diffusé un peu partout !)

image

Végétaux fanés
Insidieuse eau croupie
Une mort est proche

(Se diffusent les parfums lourds
Quelque chose a eu lieu
qui terrifie la nature)

Instant happé
Avant la grâce terrible
Des lames faisant le vide.

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À vous !

La poésie du mercredi (#34)

Je vous propose aujourd’hui un poème intitulé “Glas”, œuvre d’un poète maudit oublié et franc-comtois : Léon Deubel (1879-1913).
*
GLAS
Les temps sont accomplis : semons les roses noires.
Menons partout le deuil de l’augural trépas ;
Sur les marches du rêve il n’est de plus beaux pas
Et l’Homme est sans grandeur dans l’univers sans gloire.
*
Les longs cris se sont tus qui traversaient l’Histoire,
Impuissant à grandir nos gestes ici-bas,
L’Art déserte sa cause et les vastes combats
Et retombe à la fange où les pourceaux vont boire.
 *
Loin d’un monde où plus rien ne brûle que de vil,
Le Génie a gravi de lumineux exils ;
À l’Horizon des fronts l’Idéal agonise
 *
Comme un soleil se couche en des lagunes d’ors,
Et la nuit, jusqu’au ciel, élève son église
Où le silence est dit pour le repos des morts.

La poésie du mercredi (#32)

Aujourd’hui, je vous propose un texte de Brassens, “Les Funérailles d’antan”, extrait de l’album du même nom sorti en 1960 !

LES FUNÉRAILLES D’ANTAN

Jadis les parents des morts vous mettaient dans le bain
De bonne grâce ils en faisaient profiter les copains
“Y a un mort à la maison si le cœur vous en dit
Venez le pleurer avec nous sur le coup de midi”

Mais les vivants aujourd’hui ne sont plus si généreux
Quand ils possèdent un mort ils le gardent pour eux
C’est la raison pour laquelle, depuis quelques années
Des tas d’enterrements vous passent sous le nez

Mais où sont les funérailles d’antan 
Les petits corbillards corbillards corbillards de nos grands-pères 
Qui suivaient la route en cahotant 
Les petits macchabées macchabées macchabées ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents 
Au fossoyeur aux croque-morts au curé aux chevaux même ils payaient un verre 
Elles sont révolues, elles ont fait leur temps
Les belles pon pon pon, pon pon pompes funèbres 
On ne les reverra plus, et c’est bien attristant 
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans

Maintenant les corbillards à tombeau grand ouvert
Emportent les trépassés jusqu’au diable vauvert
Les malheureux n’ont même plus le plaisir enfantin
De voir leurs héritiers marron marcher dans le crottin

L’autre semaine des salauds à cent-quarante à l’heure
Vers un cimetière minable emportaient un des leurs
Quand, sur un arbre en bois dur ils se sont aplatis,
On s’aperçut que le mort avait fait des petits

Mais où sont les funérailles d’antan 
Les petits corbillards corbillards corbillards de nos grands-pères 
Qui suivaient la route en cahotant 
Les petits macchabées macchabées macchabées ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents 
Au fossoyeur aux croque-morts au curé aux chevaux même ils payaient un verre 
Elles sont révolues, elles ont fait leur temps
Les belles pon pon pon, pon pon pompes funèbres 
On ne les reverra plus, et c’est bien attristant 
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans

Plutôt que d’avoir des obsèques manquant de fioritures
J’aimerais mieux tout compte fait me passer de sépulture
J’aimerais mieux mourir dans l’eau dans le feu n’importe où
Et même à la grande rigueur, ne pas mourir du tout

Oh que renaisse le temps des morts bouffis d’orgueil
L’époque des m’as-tu-vu-dans-mon-joli-cercueil
Où, quitte à tout dépenser jusqu’au dernier écu
Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul

Mais où sont les funérailles d’antan 
Les petits corbillards corbillards corbillards de nos grands-pères 
Qui suivaient la route en cahotant 
Les petits macchabées macchabées macchabées ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents 
Au fossoyeur aux croque-morts au curé aux chevaux même ils payaient un verre 
Elles sont révolues, elles ont fait leur temps
Les belles pon pon pon, pon pon pompes funèbres 
On ne les reverra plus, et c’est bien attristant 
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans

La poésie du mercredi (#22)

Un peu de poésie philosophique aujourd’hui avec Joachim Du Bellay ! “Si notre vie est moins qu’une journée”, extrait du recueil L’Olive paru en 1550, aborde les thèmes de la mort et des illusions de la vie terrestres auxquelles s’accroche l’âme humaine :

Si notre vie est moins qu’une journée
En l’éternel, si l’an qui fait le tour
Chasse nos jours sans espoir de retour,
Si périssable est toute chose née,

Que songes-tu, mon âme emprisonnée ?
Pourquoi te plaît l’obscur de notre jour,
Si pour voler en un plus clair séjour,
Tu as au dos l’aile bien empennée ?

Là, est le bien que tout esprit désire,
Là, le repos où tout le monde aspire,
Là, est l’amour, là, le plaisir encore.

Là, ô mon âme au plus haut ciel guidée !
Tu y pourras reconnaître l’Idée
De la beauté, qu’en ce monde j’adore.

La poésie du mercredi (#20)

J’ai décidé de vous proposer un poème particulier toutes les 10 semaines, comme je l’avais fait ici. Aujourd’hui, donc, Boris Vian et “Je mourrai d’un cancer de la colonne vertébrale”, paru dans son recueil Je voudrais pas crever (1962), et que j’aime beaucoup…

JE MOURRAI D’UN CANCER DE LA COLONNE VERTÉBRALE

Je mourrai d’un cancer de la colonne vertébrale
Ça sera par un soir horrible
Clair, chaud, parfumé, sensuel
Je mourrai d’un pourrissement
De certaines cellules peu connues
Je mourrai d’une jambe arrachée
Par un rat géant jailli d’un trou géant
Je mourrai de cent coupures
Le ciel sera tombé sur moi
Ça se brise comme une vitre lourde
Je mourrai d’un éclat de voix
Crevant mes oreilles
Je mourrai de blessures sourdes
Infligées à deux heures du matin
Par des tueurs indécis et chauves
Je mourrai sans m’apercevoir
Que je meurs, je mourrai
Enseveli sous les ruines sèches
De mille mètres de coton écroulé
Je mourrai noyé dans l’huile de vidange Foulé aux pieds par des bêtes indifférentes
Et, juste après, par des bêtes différentes
Je mourrai nu, ou vêtu de toile rouge
Ou cousu dans un sac avec des lames de rasoir
Je mourrai peut-être sans m’en faire
Du vernis à ongles aux doigts de pieds
Et des larmes plein les mains
Et des larmes plein les mains
Je mourrai quand on décollera
Mes paupières sous un soleil enragé
Quand on me dira lentement
Des méchancetés à l’oreille
Je mourrai de voir torturer des enfants
Et des hommes étonnés et blêmes
Je mourrai rongé vivant
Par des vers, je mourrai les
Mains attachées sous une cascade
Je mourrai brûlé dans un incendie triste
Je mourrai un peu, beaucoup,
Sans passion, mais avec intérêt
Et puis quand tout sera fini
Je mourrai.

Raccourcis

C’est en passant sous un réverbère qu’Yel comprit que quelque chose n’allait pas.

Se retourna.

Il n’y avait personne, mis à part le frisson qui empoignait son épine dorsale, mais comme d’habitude, pouvons-nous dire, et Yel ne le remarqua même pas.

L’individu humanoïde dont les traits étaient décomposés par la lumière sale sous laquelle il se tenait baissa les yeux. Une flaque d’eau – elle était noire, semblait profonde, encore ces illusions d’optiques qui lui montraient des pantins dans la trajectoire des sacs en plastiques abandonnés, des chevelures bouclées dans les feuilles mortes, et ainsi de suite, il serait inutile de toutes les énumérer, ces illusions, dont Yel oublie le détail au fur et à mesure de leur apparition –, une flaque d’eau, qui ressemble ici à une flaque de pétrole, car pour Yel, la nuit si les chats ont disparu, tout devient étonnamment plus intéressant.

L’individu – si mouvant dans son identité que toute description plus détaillée serait erronée au moment même de la représentation, non pas erronée, en fait, mais fallacieuse, sans cesse réinventée, tout et son contraire au même moment et sous la même latitude, l’individu, donc, cette faute logique, se penche sur le gouffre, à genoux, y plonge tout entier, immerge les ongles de ses orteils.

C’est froid. Sa peau se hérisse. Yel s’étonne.

Son ombre a disparu depuis longtemps, lassée de devoir s’adapter sans arrêt aux modifications de l’individu qu’elle est chargée d’accompagner, car, tout de même, on a beau de pas être à proprement parler, ne pas avoir réellement de conscience et n’exister que lorsque la lumière baisse la garde, lorsque l’air fait des formes géométriques et que l’individu se blottit à la jonction de certains axes, lorsque tout est en demi-teinte, eh bien, malgré tout, c’est difficile et aucune ombre n’a jamais eu à subir ça, elle approchait la combustion spontanée, alors non, non merci, pas de ça – et l’ombre est partie.

Yel s’en va, essayant de comprendre ce qu’est la liberté.

Marche le long des rues – qu’est-ce qu’une rue, d’ailleurs, on se demande, un chemin de terre de campagne qui mène à la forêt n’est pas une rue, mais alors pourquoi un autre chemin de même taille, pareillement sinueux, simplement recouvert d’une croûte de pierre ou d’un mélange noir ou gris, brûlant, épais, qui mène à un parc municipal, pourquoi ce chemin-là serait une route ? marche donc le long des lignes ouvertes – un accouchement douloureux dont l’ouverture n’a jamais pu être totalement refermée, un moment difficile, on n’en parle pas, mais la plaie a juste pu être plus ou moins désinfectée, asséchée, et puis à la longue, comme les cris de douleur de la ligne à moitié déchirée fatiguaient tout le monde, tuée oui, mais c’était il y a très longtemps et à présent elle est fossilisée, c’est propre, c’est rigide, tout le monde est content et qu’on n’en parle plus.

Quant à ce que la ligne – les lignes – ont mis au monde (d’où l’expression mettre à la rue pour se débarrasser d’une erreur, d’un déchet, bref de quelque chose dont on ne veut plus, qui fait horreur, que ce soit adolescent paumé ou fauteuil crevé), voyons, où avons-nous la tête ? On ne sait pas ce que c’était, ça devait être important, mais mieux encore, ça devait être très laid, et personne n’a jamais regretté de ne pas savoir pourquoi exactement les lignes alors minces et souples avaient hurlé pendant des jours et des jours, pourquoi elles s’étaient ouvertes ainsi, mollement, et pour quelle raison, pour quoi faire, rejeter un machin inconnu et très probablement inutile.

Mais c’est de l’histoire ancienne et Yel continue sa progression ni rapide ni lente à travers les entrailles d’un animal imaginé, puisqu’à défaut de parler de rues, ou de lignes, il reste ça, l’intestin grêle de quelque chose.

Yel tourne à gauche devant une porte découpée de l’intérieur, noir, un bois tendre lacéré, une inscription, Yel s’en moque, Yel fait autre chose que de penser à l’outil qui a gravé des signes sur un bois blond, un jour recouvert d’une substance bleue à présent écaillée, à présent travaillée, ajourée, Yel s’en fiche et ne la regarde même pas, à vrai dire.

Et puis, toujours évitant les réverbères qui lui rappellent trop sa solitude car Yel ne peut plus parler à son ombre ni faire semblant d’en avoir peur, marchant toujours, arrive devant une barrière qui ondule doucement comme des roseaux près d’un étang un soir de pleine lune. Yel n’a jamais vu de roseaux et ne croit pas non plus à la lune. En fait, sa conscience confond un lac et un étang. Mais Yel pense tout de même ces mots : les roseaux qui frémissent doucement près d’un étang. Enlève la pleine lune, pour garder la rime. Yel se félicite de son imagination capable d’inventer des scènes dont elle – l’imagination – n’a entendu parler que lorsqu’elle avait encore une ombre.

Mais Yel continue son chemin, arrivant bientôt devant une rivière – car Yel aime bien penser voir des étendues d’eau naturelles – qui brille Comme si composée d’yeux de crapauds phosphorescents. Celle fois-ci la phrase ne satisfait pas Yel. Trop longue, pense l’individu, sans spontanéité, c’est mauvais. Yel aimerait bien soupirer mais la rivière est déjà partie.

Yel cherche un autre réverbère, un qui serait déjà presque mort, mais pas tout à fait, un dont la lumière se déverserait par à-coups, un réverbère qui aurait le hoquet, en fait, et attendrait la fin de la nuit pour crever comme on lui a bien précisé, bien expliqué en détail le jour de sa naissance, dans le contrat qu’il a signé comme il a pu, stipulant son rôle de réverbère en milieu urbain très dense, une bonne place, lui avait-on dit, tu ne seras pas trop seul, mais surtout ne bois pas aux flaques d’eau abandonnées, ça donne le hoquet, surtout, n’oublie pas.

Et Yel tourne encore, un bâtiment gris, un autre, des axes et des lignes brisées, décidément, on n’en sort pas. Jusqu’à un autre, enfin, un réverbère auquel Yel offre à boire, le réverbère se tait, eh bien, les locaux ne sont pas accueillants dans cette province songe Yel, même les réverbères se méfient, c’est dire.

À vrai dire le réverbère en question était torturé, car planté au pied d’une flaque d’eau, toujours celle dont il avait l’interdiction formelle de s’approcher, or, notre réverbère était d’un naturel très narcissique et aurait voulu savoir s’il était aussi mince, aussi luisant, aussi souple que ce qu’on lui avait dit là-bas, à l’origine, et la flaque d’eau dans laquelle s’épanouissaient des volutes d’essence un peu crémeuses lui promettait un miroir, et le réverbère hésitait. Se demandait s’il pourrait se pencher assez loin pour voir mais rester tout de même sur son axe et capable de se relever après coup. Par conséquent, il avait le hoquet, comme tous ceux qui se posent trop de questions.

Yel s’adosse au réverbère dont le contact est, peut-être grumeleux, on ne sait pas, en tout cas Yel trouve cela étrange, comme si des grains de poussière et de sable venaient tous lui réciter des poèmes dans les cheveux et sur le dos, le réverbère ne bronche pas.

Le liquide noir de la flaque tournoie, Yel se penche, on lui assure les retrouvailles avec son ombre, assuré ? Sûr et certain, dit-elle, c’est couvert par votre assurance, vous pouvez y aller sans crainte, on vous remboursera les frais, courage, la seule condition est d’ouvrir les yeux et de fermer la bouche, surtout faites-le dans cet ordre, c’est très important, d’abord vous ouvrez les yeux et ensuite vous fermez la bouche, et à cette condition, simple n’est-ce pas, vous pourrez comprendre les raz-de-marées, retrouver votre ombre et peut-être même voir la pleine lune sur les roseaux près d’un étang. Quant à la créature enfantée par les lignes, oui, bien sûr, la créature mise aux ordures à qui l’on doit ces rues ouvertes et rigides, n’en parlons pas.

Yel se met à genoux, le réverbère retient son souffle – ce qui a pour effet de faire passer son hoquet –, Yel ouvre les yeux de toutes ses forces, serre les poings, immerge sa tête complètement, ferme la bouche et sent son nez s’écraser sur une surface dure.

Le rapport d’autopsie a conclu au suicide par noyade.

Alcyon

Au menu d’aujourd’hui : du dessin et un poème !
Le dessin est celui d’une jeune dessinatrice (très) talentueuse, qui se fait appeler Ram. Allez donc voir sa page Facebook !
J’aime beaucoup son style mais un dessin en particulier m’a frappée. Je lui ai demandé si je pouvais écrire dessus, elle m’y a autorisée, donc voilà le résultat !

image

ALCYON

Lorsque les ongles auront disparu
Que les grillages seront lancés
Vers les grottes de craie trompeuses

Lorsque tu marcheras dans les rues
En regardant les pavés se noyer

Tu diras
Que ce n’est qu’un début
Et les airs et les arbres
Ne seront plus que le sang dilué
Des enfants dont on fait les manteaux de fourrure

Et tu iras tout droit
Sur la route blanche et bleue
Désert aux éclats d’oiseaux coupants
Qui fend les pieds de ceux qui le voient
Et tu iras tout droit
Et tout droit encore
Jusqu’à la silhouette haute et immobile
Comme un chien immolé par le feu qui court en ricanant
Comme un pendu aux lèvres grouillantes de bonheur

Et ce sera comme une apparition

Celle qui s’interroge te tournera le dos
Et tu suivras ses mots
Qui voltigent mouches irisées à ses côtés
Ses mains potelées
Ses yeux trop vides
Son crâne d’oiseau

Et tu suivras ses mots

Vous irez seules vers la colline.

La poésie du mercredi (#16)

Bonjour à tous ! Aujourd’hui, “La Folle Complainte”, une chanson de Trenet au texte très intéressant.

LA FOLLE COMPLAINTE

Les jours de repassage
Dans la maison qui dort
La bonne n’est pas sage
Mais on la garde encore
On l’a trouvée hier soir
Derrière la porte de bois
Avec une passoire
Se donnant de la joie
La barbe de grand-père
A tout remis en ordre
Mais la bonne en colère
A bien failli le mordre

Il pleut sur les ardoises
Il pleut sur la basse-cour
Il pleut sur les framboises
Il pleut sur mon amour

Je me cache sous la table
Le chat me griffe un peu
Ce tigre est indomptable
Et joue avec le feu
Les pantoufles de grand-mère
Sont mortes avant la nuit
Dormons dans ma chaumière
Dormons, dormez sans bruit
Berceau berçant des violes
Un ange s’est caché
Dans le placard aux fioles
Où l’on me tient couché

Remède pour le rhume
Remède pour le cœur
Remède pour la brume
Remède pour le malheur

La revanche des orages
A fait de la maison
Un tendre paysage
Pour les petits garçons
Qui brûlent d’impatience
Deux jours avant Noël
Et sans aucune méfiance
Acceptent tout pêle-mêle
La vie, la mort, les squares
Et les trains électriques
Les larmes dans les gares
Guignol et les coups de trique

Les becs d’acétylène
Aux enfants assistés
Et le sourire d’Hélène
Par un beau soir d’été

Donnez-moi quatre planches
Pour me faire un cercueil
Il est tombé de la branche
Le gentil écureuil

Je n’ai pas aimé ma mère
Je n’ai pas aimé mon sort
Je n’ai pas aimé la guerre
Je n’ai pas aimé la mort

Je n’ai jamais su dire
Pourquoi j’étais distrait
Je n’ai pas su sourire
À tel ou tel attrait
J’étais seul sur les routes
Sans dire ni oui ni non
Mon âme s’est dissoute
Poussière était mon nom

La poésie du mercredi (#13)

Bonjour tout le monde ! Vous allez bien ?

Je viens de me rendre compte qu’il n’y a pas de troisième édition de cette rubrique. Pourquoi, comment ? Aucune idée. Bon.
En y repensant, je suis pourtant sûre d’avoir posté un poème de Dominique A. Mais il a disparu. (C’est un texte que j’aime beaucoup, je suis sûre de ne pas l’avoir effacé…) Bizarre, bizarre.

Quoiqu’il en soit, voici le… treizième ? douzième ? douzième virgule cinq ? poème mercrediesque ! Je sais, ça ne se dit pas. Mais j’aime bien inventer des mots. Bref.

Le poème que je vous présente aujourd’hui, “Chaos”, a été écrit en 2014, donc par quelqu’un de vivant. (Je sais, c’est fou). Et en l’occurrence ce quelqu’un écrit sous le pseudo de “Tibère” (qui rime avec mystère. Les choses sont bien faites). C’est une poésie foisonnante de mots comme d’idées, assez étrange, bref, c’est super (et je ne dis pas ça parce que je connais l’auteur) (non je vous assure que c’est vrai). Enfin, vous pouvez en juger par vous-mêmes :

 

CHAOS

Une veille de fin du monde,
Je suis descendu dans la rue
Ce musée composite d’histoire surnaturelle.

Un tourbillon de fragments m’emporte
À travers une fourmilière bourdonnante
D’activité où l’on cultive des esprits de ruche tout en croyant quelque part
Être un surprenant sur-soi-même.

Un squelette joue aux osselets : la vie n’est pas une fin.
Et vingt-quatre oiseaux noirs chantonnent en farandole
Des airs poussiéreux que de vieux accordéonistes
Arcanistes leur ont enseigné un dimanche avant-midi.

Quel ennui : en une veille de fin du monde
Je suis retourné à mon ordonnancement hétéroclite de souvenirs.

La poésie du mercredi (#11)

Vous avez été plusieurs à témoigner la semaine dernière sur les poèmes – et les poètes – que vous aimez particulièrement (vous pouvez d’ailleurs continuer à nous faire partager vos découvertes!). Au passage, j’en profite pour faire de la pub à Jerfau, Vincent, L’Ornithorynque, SuperYannig et Moonath qui nous ont transmis leurs affinités poétiques  !

 

Aujourd’hui, sur les conseils de Jerfau, je me suis penchée sur Apollinaire et j’ai trouvé un poème magnifique, « La Maison des morts », extrait d’Alcools (1913). Le voici :

***

 

S’étendant sur les côtés du cimetière
La maison des morts l’encadrait comme un cloître
A l’intérieur de ses vitrines
Pareilles à celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins grimaçaient pour l’éternité

Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours
J’étais entré pour la première fois et par hasard
Dans ce cimetière presque désert
Et je claquais des dents
Devant toute cette bourgeoisie
Exposée et vêtue le mieux possible
En attendant la sépulture

Soudain
Rapide comme ma mémoire
Les yeux se rallumèrent
De cellule vitrée en cellule vitrée
Le ciel se peupla d’une apocalypse
Vivace

Et la terra plate à l’infini
Comme avant Galilée
Se couvrit de mille mythologies immobiles
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
Et les morts m’accostèrent
Avec des mines de l’autre monde

Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientôt moins funbèbres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagorique

Les morts se réjouissaient
De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière
Ils riaient de voir leur ombre et l’observaient
Comme si véritablement
C’eût été leur vie passée

Alors je les dénombrai
Ils étaient quarante-neuf hommes
Femmes et enfants
Qui embellissaient à vue d’oeil
Et me regardaient maintenant
Avec tant de cordialité
Tant de tendresse même
Que les prenant en amitié

Tout à coup
Je les invitai à une promenade Loin des arcades de leur maison

Et tous bras dessus bras dessous
Fredonnant des airs militaires
Oui tous vos péchés sont absous
Nous quittâmes le cimetière

Nous traversâmes la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
A la petite troupe des morts récents
Tous étaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants

Puis dans la campagne
On s’éparpilla
Deux chevau-légers nous joignirent
On leur fit fête
Ils coupèrent du bois de viorne
Et de sureau
Dont ils firent des sifflets
Qu’ils distribuèrent aux enfants

Plus tard dans un bal champètre
Les couples mains sur les épaules
Dansèrent au son aigre des cithares

Ils n’avaient pas oublié la danse
Ces morts et ces mortes
On buvait aussi
Et de temps à autre une cloche
Annonçait qu’un autre tonneau
Allait être mis en perce
Une morte assise sur un banc
Près d’un buisson d’épine-vinette
Laissait un étudiant
Agenouillé à ses pieds
Lui parler de fiançailles

Je vous attendrai
Dix ans vingt ans s’il le faut
Votre volonté sera la mienne

Je vous attendrai
Toute votre vie
Répondait la morte

Des enfants
De ce monde ou bien de l’autre
Chantaient de ces rondes
Aux paroles absurdes et lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poétiques
De l’humanité

L’étudiant passa une bague
A l’annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiançailles
Ni le temps ni l’absence
Ne nous feront oublier nos promesses

Et un jour nous auront une belle noce
Des touffes de myrte
A nos vêtements et dans vos cheveux
Un beau sermon à l’église
De longs discours après le banquet
Et de la musique
De la musique

Nos enfants
Dit la fiancée
Seront plus beaux plus beaux encore
Hélas! la bague était brisée
Que s’ils étaient d’argent ou d’or
D’émeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumière de l’aurore
Que vos regards mon fiancé
Auront meilleure odeur encore
Hélas! la bague était brisée
Que le lilas qui vient d’éclore
Que le thym la rose ou qu’un brin
De lavande ou de romarin

Les musiciens s’en étant allés
Nous continuâmes la promenade

Au bord d’un lac
On s’amusa à faire des ricochets
Avec des cailloux plats
Sur l’eau qui dansait à peine

Des barques étaient amarrées
Dans un havre
On les détacha
Après que toute la troupe se fut embarquée
Et quelques morts ramaient
Avec autant de vigueur que les vivants

A l’avant du bateau que je gouvernais
Un mort parlait avec une jeune femme
Vêtue d’une robe jaune
D’un corsage noir
Avec des rubans bleus et d’un chapeau gris
Orné d’une seule petite plume défrisée

Je vous aime
Disait-il
Comme le pigeon aime la colombe
Comme l’insecte nocturne
Aime la lumière

Trop tard
Répondait la vivante
Repoussez repoussez cet amour défendu
Je suis mariée
Voyez l’anneau qui brille
Mes mains tremblent
Je pleure et je voudrais mourir

Les barques étaient arrivées
A un endroit où les chevau-légers
Savaient qu’un écho répondait de la rive
On ne se lassait point de l’interroger
Il y eut des questions si extravagantes
Et des réponses tellement pleines d’à-propos
Que c’était à mourir de rire
Et le mort disait à la vivante

Nous serions si heureux ensemble
Sur nous l’eau se refermera
Mais vous pleurez et vos mains tremblent
Aucun de nous ne reviendra

On reprit terre et ce fut le retour
Les amoureux s’entr’aimaient
Et par couples aux belles bouches
Marchaient à distances inégales
Les morts avaient choisi les vivantes
Et les vivants
Des mortes
Un genévrier parfois
Faisait l’effet d’un fantôme

Les enfants déchiraient l’air
En soufflant les joues creuses
Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau
Tandis que les militaires
Chantaient des tyroliennes
En se répondant comme on le fait
Dans la montagne

Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
On se disait
Au revoir
A demain
A bientôt
Bientôt entraient dans les brasseries
Quelques-uns nous quittèrent
Devant une boucherie canine
Pour y acheter leur repas du soir

Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s’en allaient tout droit
Au cimetière

Sous les Arcades
Je les reconnus
Couchés
Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière les vitrines

Ils ne se doutaient pas
De ce qui s’était passé
Mais les vivants en gardaient le souvenir
C’était un bonheur inespéré
Et si certain
Qu’ils ne craignaient point de le perdre

Ils vivaient si noblement
Que ceux qui la veille encore
Les regardaient comme leurs égaux
Ou même quelque chose de moins
Admiraient maintenant
Leur puissance leur richesse et leur génie
Car y a-t-il rien qui vous élève
Comme d’avoir aimé un mort ou une morte
On devient si pur qu’on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
A se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l’on n’a plus besoin de personne

 

Le silence.

Je vais donc ajouter une énième pierre numérique à l’édifice, déjà très haut, des hommages et déclarations à propos de la barbarie sans nom qui a défiguré Charlie Hebdo.

Je ne peux rien dire de plus – tout a déjà été dit. Tout à l’heure, j’étais avec des milliers de personnes place de la République pour rendre hommage aux victimes et montrer que jamais les barbares ne vaincront. C’était la première fois que je vivais un rassemblement aussi imposant, mais également aussi silencieux.
Mais tout cela a déjà été dit.

Si je suis si touchée aujourd’hui, c’est que Charlie Hebdo est – car je me refuse à utiliser l’imparfait – un part intégrante de ma vie et de mon enfance. Je l’ai toujours vu, lu chez moi. Charlie et le Canard Enchaîné. Qui sont une incarnation des valeurs que ma famille m’a transmises.

Ça veut dire, très concrètement, qu’il n’y aura plus la rubrique BD des “Nouveaux Beaufs” de Cabu dans le Canard.
Par exemple.

Plus de chronique, ni de “débat éco” sur France Inter entre Bernard Maris et Dominique Seux. Parce que Bernard Maris s’est fait assassiner. C’est dingue, hein ? En France. En 2015.
Jusqu’à maintenant, quand on pensait au journalisme en tant que métier à risques, on avait à l’esprit ces journalistes d’investigation dénonçant les actions de la mafia, ou tout autre organisation criminelle ; ou alors les reporters, envoyés spéciaux dans les pays en guerre, qui risquent leur vie et parfois la laissent pour rapporter quelques images du conflit dans le pays auquel ils appartiennent.
À partir de maintenant, on pensera aussi, surtout, au 7 janvier 2015.

Ce que je veux dire par là, c’est que si ce crime est un symbole, il n’est pas abstrait. Il agit et va agir, de plus en plus, sur nos vies quotidiennes. Parce qu’on ne s’en rend pas bien compte, mais les dessins de Charb, Cabu, Wolinski & Cie sont partout. Leur disparition va chambouler complètement ce qu’on appelle le “paysage visuel urbain” français. Rien que la disparition des kiosques des couvertures de Charlie telles qu’on les connaît. Quand on y pense : ça va changer les habitudes qu’on a quand on passe devant un kiosque ou un marchand de journaux.

Voilà. Je crois que c’est tout ce que j’avais à dire. Je laisse le reste à des gens mieux informés et plus compétents que moi.

Un slogan qui rentre dans l’Histoire aujourd’hui, dans la continuité directe du “Ich bin ein Berliner” : “Je suis Charlie.”

Pureté morbide

Vue de dos une femme grise

S’effondre

Le dos percé de

Deux balles.

Elle se retourne et

C’est moi

Angoisse – cris

Je vais mourir

Je vais mourir cette fois

Pour de vrai et toujours

Je ne veux pas mourir

Il y a beaucoup de gens autour et

Ils m’aiment

Ils regardent avec

attention

Je sens le sang qui presse les

veines d’éclater

Je crie et personne

Ne bouge

Aidez-moi aidez-moi

Je ne veux pas mourir

Appelez le samu les pompiers

Appelez qui vous voulez

Je ne veux pas mourir

Inutile répondent-ils

Les urgences sont saturées

C’est Noël tu sais

Et à Noël

Les gens se coupent avec les

Huîtres

Qu’ils ne vont pas manger

On ne va quand même pas les déranger

Puisque ton cas est

Inespéré

Et ils s’éloignent.

Le miroir s’approche et

J’y vois mes yeux affolés

Dont les contours

Suintent du sang.

La poésie du (presque) mercredi (#5)

Et voilà la poésie du mercredi, avec un an quelques heures de retard (vous avez le droit de me lapider pour avoir osé faire cette blague).

Je viens de me rendre compte que je n’ai pas encore mis un seul poème de Rimbaud… (Hérésie ! Blasphème !)

Donc, aujourd’hui, il y a du Rimbaud au menu, entre le champagne et les huîtres.

“Bal des pendus”

Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.

Messire Belzébuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d’un vieux Noël !

Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles
Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles
Se heurtent longuement dans un hideux amour.

Hurrah ! les gais danseurs, qui n’avez plus de panse !
On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs !
Hop ! qu’on ne sache plus si c’est bataille ou danse !
Belzébuth enragé racle ses violons !

Ô durs talons, jamais on n’use sa sandale !
Presque tous ont quitté la chemise de peau ;
Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.
Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :

Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,
Un morceau de chair tremble à leur maigre menton :
On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.

Hurrah ! la bise siffle au grand bal des squelettes !
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !
Les loups vont répondant des forêts violettes :
A l’horizon, le ciel est d’un rouge d’enfer…

Holà, secouez-moi ces capitans funèbres
Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés
Un chapelet d’amour sur leurs pâles vertèbres :
Ce n’est pas un moustier ici, les trépassés !

Oh ! voilà qu’au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporté par l’élan, comme un cheval se cabre :
Et, se sentant encor la corde raide au cou,

Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
Avec des cris pareils à des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.

Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.

L’arsenic selon Claro.

“Qui n’a pas entendu le chant métallique de l’arsenic, auquel se mêlent les rires enchevêtrés du cristal, sa violente distillation dans ce sac à sucs qu’est la mémoire, risque de ne point apprécier à sa juste mesure l’aria qu’ânonne une agonie digne de ce nom.

Cela étant dit, qu’est-ce que l’arsenic ?”

Claro, Madman Bovary

« Le théâtre et les armoires » / « Travail »

À chanter sur fond de piano en volutes

Qui se mêleront à la voix

Le début est catégorique

On peut y suggérer l’ironie

L’appel s’affole et s’enroule sur lui-même

De plus en plus vivant

Appelle l’extérieur par l’intérieur

Et vice-versa.

Oracles oubli inconscience

La voix invisible s’enivre de mots

Et se prend à son propre jeu.

Soit un carré

Tendu de froid.

Calculer la distance

Parcourue par les rois

S’ils veulent séparer

Se rompre du carré.

(un temps, comme interrogeant le vide)

Maintenant voyez les cordes

Sentez-les sous vos paupières

Aux fibres acerbes

Goûtez leur saveur rêche

De poil de port et de pratique

Grinçante comme les poulies

Des chemins creux au soir levant

(blanc)

Tout est prêt pour vous

Imaginez ami le jet des figues

Parabole envisagée dans le creux

Des angles raides.

Tenez-vous prêt à secourir les astres

Qui ne tarderont pas à s’éteindre

Sous vos pieds

Recueillez tremblant le rouge-échange

Qui vous sauvera des arcanes

Fragiles amas solides comme vous

Qui riez en lisant les aurores et les paons

(blanc)

Tout est fini dans ce monde

Et le débarcadère est plein

Les spectres enjoués s’avancent

Jeunes filles nappées de joie

(blanc)

Danse pour conserver ton titre

Roule des yeux et des carrioles

Alors se retirera le flot

Sous les teintes imprégnées

De ta souffrance et de ta voix

De tes malheurs et sortilèges

De ton art

(atone)

ô Roi.

Nature morte, 2

Écriture participative, nouvel épisode !

(Les précédents poèmes collectifs ainsi que l’explication du jeu sont ici !)

Qu'est-ce que cette image vous inspire ?
Qu’est-ce que cette image vous inspire ?

Venez nous l’écrire dans les commentaires !

Voici le

“Blason de la Mouche” :

Machine animale

Morceau de nuit volant

Que vois-tu

L’univers quadrillé

Comme le cahier

Qui veut te voir

Bouillie noire

Sur le carreau

Poils de soie

Reflets de moire

Aux aguets

Inspirée

Corps imbriqué serti de rubis

Pivotants

Corsage armure et peau

Pattes puissantes

Grêles

Plus agiles que ses doigts

Insecte nerveux aux ailes

Frémissantes

Éclat verdi

Comme ses yeux

Clairs regrets

Bourdonnants

Terreur terrifiée

Éphémère

Martyr

Des foudres

Ménagères

… À votre tour !

EDIT : I made a translation of this poem ! I hope that I did not make mistakes. If I did, please tell me 🙂 

Of course, it’s sounds better in French… (some words in French like “éclat” have a double meaning, so I had to make choices !)

Here is the “Fly’s Blazon”

« The Fly’s Blazon »

Animal engine

Flying piece of night

What do you see

Chequered universe

Like the notebook

Which wants you to be

Black slop

On the pane

Silky hair

Iridescent reflection

On the watch

Inspired

Interlock body set of pivoting rubies

Corset armor and skin

Vigourous and

Skinny legs

Nimbler than her

Fingers

Nervous insect with

Shaking wings

Blenched sparkle

Like her eyes

Clear regrets

Buzzing

Terrified terror

Ephemeral

Martyr

Of the

Housekeeper’s

Rage.

Félins et cicatrices

Le teint livide les traits tirés

Encore une fois le masque arraché

Les plaies feulent en grésillant

Un sang rose suinte collant

Dans quelques instants les remarques

Fuseront interrogeant les marques

Palpitants et frémissants bijoux

Séparant tes yeux et les joues

Pourquoi vous mordre vous

Si l’on peut se graver, lacérer nous ?

Suicide.

“Suicide : preuve de lâcheté”, écrivait Flaubert dans son Dictionnaire des Idées reçues, qui visait à recenser toutes les manifestations verbales de la bêtise humaine afin de provoquer une prise de conscience générale et d’empêcher, par une meilleure connaissance de la “bêtise”, les imbéciles de nuire.

En général, à l’annonce d’un suicide, le premier choc passé, on a tendance à blâmer le suicidé. Déjà parce que cet acte est vu comme égoïste (“Il/Elle a abandonné ses proches qui souffrent de sa mort”), et idiot (“s’il/elle avait attendu un peu, ses ennuis se seraient résorbés, c’est ridicule d’agir sur un coup de tête”).

(Précisons tout de même que la plupart des suicides “réussis” avaient été préparés à l’avance, ils sont plus efficaces et souvent moins spectaculaires que les suicides “ratés” réalisés sur un coup de tête.)

Alors oui, parfois, le suicide peut paraître  complètement idiot, par exemple dans le cas d’un chagrin d’amour où, pour le coup, le temps aurait réellement arrangé les choses. Malgré tout, le suicide passionnel n’est absolument pas représentatif du suicide en général, pour les motifs mêmes énoncés plus haut (on réfléchit beaucoup avant de faire une tentative de suicide, hein) ; et en général, dans ces cas précis, la rupture amoureuse n’est que “la goutte d’eau qui met le feu aux poudres”  chez un individu ayant déjà eu des tentations suicidaires, des angoisses métaphysiques profondes et répétées, bref, quelqu’un d’ “instable”.

Et donc le suicide est vu comme une “preuve de lâcheté” de la part du suicidé. Pourquoi ?

Parce que le suicidé n’aurait pas eu le courage de faire face à sa situation, de “s’en sortir”, et aurait donc trouvé une échappatoire dans la mort.

Restons avec Flaubert et l’exemple de Madame Bovary (oui, encore, laissez-moi avec mes névroses) qui, à la fin du roman, se suicide en bouffant de l’arsenic comme si c’était du cacao en poudre, tout ça parce que cette andouille s’est endettée, qu’elle ne sait pas quoi dire à son mari (“coucou chéri, on n’a plus de meubles, c’est normal, les huissiers sont passés, t’inquiète pas”), et qu’en plus elle a rompu avec son amant. Là, c’est le cas par excellence du suicide consternant, qui fait se dire au lecteur agacé que “mais franchement quelle idiote, elle a fait chier tout le monde pendant le roman, et voilà qu’elle ruine définitivement la vie de ce pauvre Charles, ah bah bravo hein. Mais c’est pas possible une imbécile pareille !” (oui, le lecteur courroucé n’est pas des plus courtois, je l’admets.)

Mais il ne faut pas oublier qu’Emma est tournée en ridicule tout au long du roman, ce qui fait qu’on peut légitimement penser que ce n’est pas ce que pensait Flaubert du suicide, cf. le Dictionnaire des Idées reçues et ses nombreux clichés communs à Madame Bovary.

Donc, pour ma part, je pense que le raisonnement courant qui voit le suicide comme une “preuve de lâcheté” fait fausse route. D’ailleurs, dans l’Antiquité par exemple, c’était le contraire : ne pas se suicider était une “preuve de lâcheté”.

Je pense plutôt que le suicide est une preuve de courage, d’optimisme et de curiosité intellectuelle.

Je m’explique. Instinctivement, on a peur de la mort. Or aller au-devant de ses peurs, les dépasser par la simple force de sa volonté, c’est la définition même du courage (voire de la témérité…).

De plus, vouloir se donner la mort, c’est penser qu’elle est préférable à la vie, que ce qui suit la vie est forcément meilleur. Aller de l’avant, en somme, avec la conviction que ça ne peut être que meilleur. Confiance et optimisme.

Enfin, se suicider, c’est enfin avoir la réponse à la question existentielle par excellence, celle qui a fait s’élaborer les mythes fondateurs et les religions de toutes les cultures : Qu’y a-t-il après la mort ?

Se suicider, c’est donc être assez curieux et sauter le pas pour enfin savoir la vérité. Ne pas se contenter de ce que disent les autres et enquêter par soi-même. Remettre en question les idées reçues.

Être assez courageux pour quitter volontairement ce à quoi on est habitué depuis toujours.

Et assez optimiste pour penser la mort comme un refuge, meilleur que la vie.

Alors qu’on arrête de dire qu’il s’agit d’une “preuve de lâcheté”. Merci bien.

EDIT : au vu des nombreuses réactions engendrées par cette article, je précise qu’il s’agit bien entendu d’ironie, d’un pur exercice de rhétorique… Tout ce raisonnement est à prendre au second degré.

Par ailleurs, je ne tiens pas à me suicider, je ne fais pas non plus, par conséquent, “l’apologie du suicide”…

Enfin, les commentaires sont exceptionnellement fermés pour cet article.

Merci de votre compréhension !

“Restons-en là” / Via Castellana Bandiera

Le volant disparaît dans les voiles

Les mèches grises collées dévalent

La route escarpée

Du cuir imbibé

Tombent des épaules

Sur les doigts crispés.

Et la tension se révèle

Derrière les carreaux

Le manque d’air,

Et les pigeons,

Les masses d’eau.

Iris acier, tête affaissée

Ou cou brisé ?

Le cadre carrossé

Segmente la vision d’un terrier

Qui s’étrécit À mesure

que la

rue

s’agrandit

Inspiré par le très beau film d’Emma Dante, Via Castellana Bandiera, que je recommande vivement.

Poissons

les cadavres s’entassent
yeux stupéfaits
choc mou
polystyrène
frontière
film
néon
        pas
              de
                 sang
                        sale

Dialogue

Des rocailles élégantes s’éloignent en causant
Tandis que le cortège s’effile gaiement
Dans les renoncules et les archiducs.
Seul au désert, aux pierres reflétées
Rustres d’être restées si longtemps à brûler
Un bouchon lentement se meut
Invite sa compagne de dards jetés
À danser tous deux un dernier menuet.
La noyade refuse, blessée
Le bouchon n’a pas d’yeux
Gravé corné puant il pleure
Seul dans les pierres des miroirs
Avec lenteur le bouchon pleure
Alors que se pâment les oriflammes
Dans le désert du cortège ma sœur
Parmi les élégantes aux corsets fins
Le cercueil se lasse et le bouchon pleure.

Psaume

L’abri de fil
Se fige inquiet
Sous les troènes

Vingt-six parpaings
Chantent en canon
L’adieu aux rois

Sur le béton
Lisse et bruyant
L’air est fuyant

Les paravents
Se déchirant
Font du raffut

Le carreau claque
La poutre craque
La porte s’ouvre.

Rue des arbrisseaux secs

Les fils électriques courbes
De tension molle
Sont sertis d’écailles
Jalonnés par des saphirs
Et des galets
Les hirondelles hésitent
Puis se posent sur les galets
Les merles cherchent à trancher les fils
Peut-être venimeux
Tandis que les étourneaux en bandes
Ras du goudron
Se fracassent laborieusement contre les murs
Leur cervelle coule grumeleuse
Et se fige sur le crépi.

Distorsions (ou Anytos)

L’assemblée distordue aux lignes dures reluisantes de métal
S’était rassemblée au sommet de la colline
Intimidée qu’elle envahissait négligemment ;
Elle condamna les plantes à philosopher
Et les poisons à s’épanouir.
Voyant cela, des éponges s’effarèrent
Et de leur surface tiède jaillirent des terreurs
Aux manchettes couvertes de sang
Tandis que la Résistance au cœur des cachots s’organisait ;
Alors le linge blanc maculé de sang

Ayant soigneusement délibéré
Referma les portes, accumulant la terre
Devant les éponges résignées
L’assemblée se dispersa en croquant bruyamment des oignons.
Sur la place se putréfiaient lentement os et moignons ;
Devant les portes scintillait déjà la coupe d’argent.

Un long aveu de funérailles

La porcelaine dansante reluisait
Coquettement apprêtée légèrement intimidée
C’était sa première sortie hors du placard
L’anse tremblante et le pas incertain.

La théière sa marraine
Lui versa gravement du lait
Au creux des reins comme liqueur nacrée
Et la remplit avec soin jusqu’au gavage

La petite tasse retint son souffle
S’avançant lentement entre les haies d’honneur
Que faisaient les austères sucriers
Et les bolées de cidre en grès

Mais arrivée au centre de la table
Elle fut soudain saisie d’un doute
Et dans son arrêt brusque se renversèrent
Deux gouttes de sang de la masse nacrée

Elle reprit perplexe son chemin
Le pas raide la porcelaine vitreuse
Ne sentant tourner au fond de son socle
Qu’une masse figée vaguement nauséeuse

Prise d’un vertige elle s’arrêta
Au bord de la table de bois
La théière sa marraine et les arides bolées
Depuis longtemps déjà s’évanouissaient

Il ne restait que la tasse dans le vent
Qui mugissait immobile autour d’elle
Elle se plia et s’arrondit
Pour faire couler le sang figé

Le lait tourné au sang s’était assombri
D’un noir profond il maculait la tasse
Qui frissonna en voyant visqueuse
L’encre qui la remplissait jusqu’aux tréfonds

Elle hésita à s’élancer – souvenirs encore trop frais
Puis renonça fossilisée par le vent glacé
Dans lequel tourbillonnaient des plumes d’acier
Qui de temps à autres dans l’encrier plongeaient.