La poésie du mercredi (#30)

Comme pour toutes les dizaines de cette rubrique, je vous propose aujourd’hui un poème qui me tient vraiment à cœur : “J’ai tant rêvé de toi”, de Desnos, in Corps et Biens (1930).

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant
Et de baiser sur cette bouche la naissance
De la voix qui m’est chère ?

J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués
En étreignant ton ombre
À se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
Au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante
Et me gouverne depuis des jours et des années,
Je deviendrais une ombre sans doute.

ô balances sentimentales.

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps
Sans doute que je m’éveille.
Je dors debout, le corps exposé
À toutes les apparences de la vie
Et de l’amour et toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi,
Je pourrais moins toucher ton front
Et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
Couché avec ton fantôme
Qu’il ne me reste plus peut-être,
Et pourtant, qu’à être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l’ombre qui se promène
Et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie.

Desnos coopère avec Stendhal !

Desnos…
“Amour haut parleur, sirène à corps d’oiseau,
je vous quitte.
Je vais goûter le silence cette belle algue où dorment les requins.”

Sinon, un autre me fait penser à l’incipit du Rouge et le Noir de Stendhal – où le narrateur décrit la ville de Verrières, ville étriquée, bornée et conservatrice, dont une fabrique de clous “assourdit” le voyageur :

 “Je débarque dans une ville triste comme la vie
et monotone comme elle
on entend résonner le marteau sur les clous (…)”

Promis, un jour j’arrêterai de parler exclusivement de poètes surréalistes. Un jour.
Mais pas dans l’immédiat !