La poésie du mercredi (#40)

Nous voici donc arrivés à la quarantième semaine : comme d’habitude, pour les dizaines, je vous propose un poème que j’aime particulièrement.
Aujourd’hui, notre hôte est Dominique A, dont je vous avais déjà parlé ici ; “Semana Santa” est extrait de son dernier album, Éléor, sorti en 2014.
On trouve peu de ses chansons sur Internet, ce qui fait que je ne peux vous proposer que le texte de celle-ci : mais allez l’écouter, je vous promets que si ce texte vous plaît, la chanson en elle-même ne vous décevra pas ! Cet album est voilé de sonorité sombres et riches, éclairé par la voix de Dominique A, très lumineuse, presque claire, c’est le soir qui tombe, les souvenirs qui affluent même faux, les lumières qui tremblent – il un des rares véritables poètes de la chanson française actuelle.
Bref, je vous recommande vivement ses deux derniers albums, Vers les lueurs et Éléor.

Ce poème, c’est vraiment un “Instant-Né” (oui, c’est en plus une procession dans un pays latin…). On voit véritablement la scène, les vers sont étonnamment solides et cristallins à la fois, une sorte de tension interne tient tout en place… La forme en volutes – de l’encens, de la mémoire aussi bien que du texte – s’exprime notamment par la musique, dans la chanson.
C’est en écoutant “Semana Santa” que j’ai mise en mots mon impression et “développé” (dans tous les sens du terme) l’idée d’une forme poétique avant tout liée à la retransmission d’un instant.

SEMANA SANTA

Une femme fumait au seuil d’une boutique
Guettant la procession à l’angle de la rue
Main sur la hanche gauche, elle attendait mutique
Au soleil, elle semblait par son ombre tenue

C’était un jour d’avril ; sur le sol en damier
Des vieilles devisaient ; autour, des enfants
Couraient après des chats, et l’odeur de l’encens
Montait, lourde, à la tête et faisait suffoquer

La musique pleurait en agitant ses chaînes
Mimait la pénitence, et des larmes de sang
Épaisses lui échappaient et couraient sur ses flancs
Brûlant de ranimer les douleurs anciennes

Les vagues remuaient des histoires lointaines
Où des bateaux gavés d’or hantaient l’océan
Et la femme fumait, et l’odeur de l’encens
Montait, lourde, en son âme où cliquetaient des chaînes

Semana Santa

Une femme fumait au seuil d’une boutique
Guettant la procession à l’angle de la rue
Main sur la hanche gauche, elle attendait mutique
Au soleil, elle semblait par son ombre tenue…

La poésie du mercredi (#18)

Aujourd’hui, de la musique avant toute chose avec une chanson de Dominique A, “Ostinato”, extraite de l’album Vers les lueurs (2012).

(Désolée pour la qualité de la vidéo…)

OSTINATO

Du jardin j’entendais du verre se briser
Et des pleurs d’enfants que la vie instruisait
Je me voyais partir, dévaler des vallées
Et fuir les cris de verre et les éclats d’enfants

Dans les rues des civières passaient incessamment
Portant des illusions qui perdaient trop de sang
Des brancardiers filaient sous une pluie d’étoiles
Tombant pour soulager ou appuyer le mal

Et l’espoir mourait ou renaissait bientôt
Et l’on pleurait de joie ou de peine aussitôt
Je suis sorti des rues, des jardins anxiogènes
Mais je ne parviens pas jusqu’aux vallées sereines

Ostinato
Des lames de fond me soulèvent
Ostinato
Écorchent la peau des rêves
Que je parte ou que je revienne
Roulent les tambours sous la scène
Ostinato

J’ouvre des coffres lourds de secrets immobiles
Aux regards de chats méfiants et indociles
Et le bois dans la cale craque de tous côtés
Mais que la coque tienne et je serai sauvé

Je serai débarqué sur une terre où l’air
N’a jamais traversé de corps, où la poussière
Ne couvre pas les yeux, ne repose aucun voile
Et où la vie n’est pas l’esclave des étoiles

Ostinato
Des lames de fond me soulèvent
Ostinato
Écorchent la peau des rêves
Que je parte ou que je revienne
Roulent les tambours sous la scène
Ostinato