La poésie du mercredi (#62)

Le poète d’aujourd’hui est René Char, avec “Afin qu’il n’y soit rien changé”, extrait du recueil Fureur et mystère, datant de 1962.

AFIN QU’IL N’Y SOIT RIEN CHANGÉ

Tiens mes mains intendantes, gravis l’échelle noire, ô dévouée ; la volupté des graines fume, les villes sont fer et causerie lointaine.

Notre désir retirait à la mer sa robe chaude avant de nager sur son cœur.

Dans la luzerne de ta voix tournois d’oiseaux chassent soucis de sécheresse.

Quand deviendront guides les sables balafrés issus des lents charrois de la terre, le calme approchera de notre espace clos.

La quantité de fragments me déchire.
Et debout se tient la torture.

Le ciel n’est plus aussi jaune, le soleil aussi bleu.
L’étoile furtive de la pluie s’annonce.
Frère, silex fidèle, ton joug s’est fendu.
L’entente a jailli de tes épaules.

Beauté, je me porte à ta rencontre dans la solitude du froid.
Ta lampe est rose, le vent brille.
Le seuil du soir se creuse.

J’ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l’assaut de la pierre de l’éternité.

“Je t’aime”, répète le vent à tout ce qu’il fait vivre.
Je t’aime et tu vis en moi.