La poésie selon Marinetti

Voici quelques extraits du Manifeste technique de la littérature futuriste de Filippo Tommaso Marinetti, publié en 1912 :

 

Nous inventerons ensemble ce que j’appelle l’imagination sans fils. Nous parviendrons un jour à un art encore plus essentiel, quand nous oserons supprimer tous les premiers termes de nos analogies pour ne donner que la suite ininterrompue des seconds termes. Il faudra pour cela renoncer à être compris. Être compris n’est pas nécessaire. (…)

Faisons crânement du “laid” en littérature et tuons partout la solennité. (…) Il faut cracher sur l’Autel de l’Art. Nous entrons dans les domaines illimités de la libre intuition. Après le vers libre, voici enfin les mots en liberté. (…)

Les cellules mortes sont mêlées aux vivantes. L’art est un besoin de se détruire et de s’éparpiller, grand arrosoir d’héroïsme inondant le monde. Les microbes, ne l’oubliez pas, sont nécessaires au sang, aussi bien qu’à l’Art, ce prolongement de la forêt de nos veines, qui se déploie hors du corps dans l’infini de l’espace et du temps. (…)

Par l’intuition, nous romprons l’hostilité apparemment irréductible qui sépare notre chair humaine du métal des moteurs. Après le règne animal, voici le règne mécanique qui commence ! Par la connaissance et l’amitié de la matière, dont les savants ne peuvent connaître que les réactions physico-chimiques, nous préparons la création de l’homme mécanique aux parties remplaçables. Nous le délivrerons de l’idée de la mort, et partant de la mort elle-même, cette suprême définition de l’intelligence logique.

 

 

La poésie du mercredi (#39)

Notre invité du jour est anglais, romantique et mort depuis 193 ans, 2 mois et 15 jours : il s’agit du poète Percy Shelley avec “Ozymandias”, composé en 1817.

OZYMANDIAS

I met a traveller from an antique land,
Who said : “Two vast and trunkless legs of stone
Stand in the desert. Near them, on the sand,
Half sunk, a shattered visage lies, whose frown,

And wrinkled lip, and sneer of cold command,
Tell that its sculptor well those passions read, 
Which yet survive, stamped on these lifeless things,
The hand that mocked them and the heart that fed,

And on the pedestal these words appear :
“My name is Ozymandias, king of kings :
Look on my works, Ye Mighty, and despair !”

Nothing besides remains. Round the decay
Of that colossal wreck, boundless and bare,
The lone and level sands stretch far away.

Les éclats des sources en marche

Les dernières vagues de la rivière quittent le domaine
Se noient sans doute quelque part
Dans la brume de quatre heures trente-sept du matin
heure à laquelle même la poésie dort encore
heure d’avant la beauté ou la médiocrité intéressante.
Les reflets noirs et liquides passent pressés
En face sur l’autre rive est fixe une figure
Ongles sanglants pitoyables et ferreux
L’intuition est un serpent ;
L’autre souffle à travers ses doigts perméables car troués
la bruyère piétinée hurle de lassitude
Elle lance une balle d’or qui coule sans remous
Je cueille un nénuphar
Se désintéresse de moi
Traits secs et habits amples
Moi dit-elle je ne pleure pas
depuis longtemps se sont desséchés les peupliers
et rabougris ceux qui m’imprégnaient d’émotions
toi tu as un manteau de laine
regarde-le
tu peux pénétrer l’enceinte de la colline
tu as eu ton cloître enclos dans le vacarme
même d’elle tu te lasseras
puisque dès aujourd’hui tu es là
Les tubes des âmes sont ennuyeux à l’aube
Les couleurs s’affadissent pour les yeux perçants
Métal et encre font bon ménage.

Je lui dis Vous me condamnez
votre envie part en fumée
moins loin que l’eau froide
je vois vos pensées se disperser par la lucarne

Elle rit sèchement Tu sais je suis
Plus vieille que toutes les lucarnes
Et l’art n’est qu’une invention qui sert à passer le temps entre deux sommeils.