La poésie du mercredi (#62)

Le poète d’aujourd’hui est René Char, avec “Afin qu’il n’y soit rien changé”, extrait du recueil Fureur et mystère, datant de 1962.

AFIN QU’IL N’Y SOIT RIEN CHANGÉ

Tiens mes mains intendantes, gravis l’échelle noire, ô dévouée ; la volupté des graines fume, les villes sont fer et causerie lointaine.

Notre désir retirait à la mer sa robe chaude avant de nager sur son cœur.

Dans la luzerne de ta voix tournois d’oiseaux chassent soucis de sécheresse.

Quand deviendront guides les sables balafrés issus des lents charrois de la terre, le calme approchera de notre espace clos.

La quantité de fragments me déchire.
Et debout se tient la torture.

Le ciel n’est plus aussi jaune, le soleil aussi bleu.
L’étoile furtive de la pluie s’annonce.
Frère, silex fidèle, ton joug s’est fendu.
L’entente a jailli de tes épaules.

Beauté, je me porte à ta rencontre dans la solitude du froid.
Ta lampe est rose, le vent brille.
Le seuil du soir se creuse.

J’ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l’assaut de la pierre de l’éternité.

“Je t’aime”, répète le vent à tout ce qu’il fait vivre.
Je t’aime et tu vis en moi.

8 thoughts on “La poésie du mercredi (#62)

      1. Je ne comprend pas ta remarque, moi je pensais au Tableau de Magritte “Le poète récompensé” et à ce sonnet

        Mille lieux sous terre, parfois je désespère
        Je ne sais pas pourquoi, c’est bien plus fort que moi
        J’ai cherché plusieurs fois à défier cette loi
        Docteurs, infirmières, à eux j’ai eu affaire

        J’ai même déménagé au bord de la mer
        On dit que l’air marin fait beaucoup de bien
        Ça n’a servit à rien, toujours chagrin revient
        J’essaie de le chasser en composant des vers

        Sonnet, tanka, haïku, je n’ai d’yeux que pour eux
        Pourtant les rimes, les pieds, c’est plutôt fastidieux
        Pour se sentir libre, s’imposer des contraintes!?

        Autre bizarrerie, paradoxe de plus…
        Le poète est ascète pour Cochonfusius
        En créant il éprouve de l’amour l’étreinte

        et à celui-là,

        Je prends mon clavier comme j’appelle un ami,
        Avec le même espoir de ne plus être triste.
        L’écriture fait office de secouriste,
        C’est pour ne plus se sentir seul que l’on écrit.

        Cependant il me faut être un peu plus précis ;
        Avoir un lecteur n’est pas le but de l’artiste,
        Ca n’est pas lui qui lui fait sentir qu’il existe ;
        Il est la cerise sur sa pâtisserie.

        Devinez quel est l’objet de sa quête active ?
        Il s’agit de l’amour que la beauté ravive !
        Insondable mystère plus précieux que l’or.

        Ah ! Perdre pied en lui comme dans une femme
        Dont le regard langoureux transporte votre âme,
        Faire dans la vie l’expérience de la mort !

        Je ne vois pas comment être plus explicite.
        Ps; Ton commentaire sur la dégustation de l’oeuf de cent ans est un pur régal, l’humour pour ce qui est de nous faire aimer la vie vaut bien des poésies.

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      2. Je commentais “Beauté, je me porte à ta rencontre dans la solitude du froid.” Je comprends ce vers (mais je me trompe peut-être !) comme une recherche de l’amour en tant qu’il s’exprime par la beauté, mais qui n’est pas la beauté en elle-même. Ce n’est pas très clair. La beauté ne sera que le point de contact qui permettra à l’amour de se déployer, contrastant avec la solitude et le froid. Il la recherche mais en sachant ce qu’il cherche, ce qui par conséquent n’est pas l’amour (autrui ne se résume pas à l’idée de beauté et il y a un certain mystère dans l’amour)…

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      3. A genoux dans le lit boueux de la journée
        Je racle le sol de mes deux mains
        Comme les chercheurs de beauté
        René Guy Cadou

        C’est un extrait d’un de ses poèmes, je fais le rapprochement entre “la solitude du froid” et “le lit boueux” et puis enfin l”enfer” avec Artaud, quand il écrit “Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l’enfer.”

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  1. Tout à fait d’accord avec Vincent (comme souvent ). Je ne vois pas en quoi la solitude du froid s’opposerait et à la beauté (au contraire , froide, elle repose en elle -même ) et à l’amour (certes pas d’autrui sinon Bonjour la compagnie adieu la solitude , mais de la beauté justement, dans l’exacte et froide lumière de son idéal ). Rassurez -moi: vous ne pensez pas qu’on ait besoin d’être amoureux d’une Béatrice pour cultiver l’amour du beau? Et comment pourrait -on reconnaître le beau sans l’aimer?

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